2. Les « objets » générés principalement par des IA devraient relever d’un domaine public payant
Il faut, disait Musset, qu’une porte soit ouverte ou fermée. Si comme l’y invitent plusieurs positions tant jurisprudentielles que doctrinales, il ne peut y avoir de droit d’auteur sur un contenu généré par un système d’IA, faute de caractériser l’intervention créative d’une personne humaine, la résultante devrait être que ces contenus soient versés dans le domaine public informationnel, c’est-à-dire que les entités économiques qui sont à la source du résultat produit par la machine ne puissent revendiquer aucun droit exclusif sur ce contenu. Cette démarche est non seulement nécessaire pour conserver la cohérence de la catégorie mais encore elle est utile pour les acteurs de la création, dans la mesure où elle écarte la possibilité de recourir à des outils de réservation au profit d’entités qui ne prennent pas les risques inhérents à cette économie mais qui viennent toutefois concurrencer ceux qui subissent cette charge. Il existe des justifications sociales fortes pour écarter les projets de succédanés de propriété intellectuelle sur de tels objets, même si la détermination des objets concernés par le domaine public peut s’avérer délicate (2.1.). En tout état de cause, cette entrée dans le domaine public ne doit pas s’accompagner d’un principe systématique de gratuité qui conduirait à une concurrence déloyale entre extrants de l’IA et objets de la propriété intellectuelle pour l’exploitation desquels une redevance est due. Afin d’éviter que l’exploitation libre de ces contenus ne se réalise au détriment des objets protégés, il conviendrait qu’elle donne lieu à une rémunération et d’instaurer, pour ces objets spécifiques, une logique de domaine public payant (2.2.).
2.1. Le régime du domaine public pour les contenus a priori générés par des IA
Le domaine public corollaire de la non-protection des contenus a priori générés par les IA
Pas de protection sans humain-une vision discutée. La ratio legis de la propriété intellectuelle est différente selon les législations mais elle procède toutefois en principe d’un méta-objectif commun, à savoir d’inciter des individus à créer afin que la société en général puisse en tirer un bénéfice direct ou indirect. Je pars ici de l’idée[19], assez discutée[20] qu’une telle finalité serait partiellement menacée si étaient accueillies au sein des régimes d’exclusivité légale des productions « sans auteur » personne physique, pour lesquelles le monopole viendrait récompenser le seul investissement dans la production ou l’utilisation des outils dits génératifs. Certaines personnes considèrent au contraire nécessaire de favoriser les investissements dans le développement de l’IA en étendant les monopoles existants ou en les adaptant à ses caractéristiques particulières[21] ou encore préconisent l’adoption de tels systèmes de réservation pour, dans un même élan, en réduire le bénéfice par le biais d’exception compensées. Ainsi, un droit de propriété intellectuelle serait reconnu – la discussion sur le bénéficiaire est encore vive entre le fournisseur de la technologie et l’utilisateur – mais le cas échéant l’exploitation pourrait donner lieu à une forme de compensation en raison du préjudice subi par les auteurs « humains » atteints par cette rivalité injuste.
Le réflexe d’aller vers davantage de propriété intellectuelle alors même que l’intérêt à préserver n’est plus celui des créateurs personnes humaines doit être sérieusement questionné. En affirmant au contraire l’entrée dans le domaine public de tels extrants[22], on éloigne le spectre d’un droit d’auteur de seconde zone, qui à l’instar du droit anglais, offre une protection à ceux qui ont seulement utilisé une machine pour générer une œuvre. Pourquoi, en effet, conférer un droit exclusif aux entités ayant généré de tels « produits », étant entendu que le droit des brevets peut déjà couvrir l’inventivité dont on fait preuve les développeurs des machines, ce qui reviendrait à récompenser le manque d’engouement à embaucher et à rémunérer des humains pour leur travail créatif[23] ? Tout au contraire, en l’absence des justifications qui fondent le jeu de la propriété intellectuelle, le régime devrait être précisément l’absence de protection et la mise en concurrence des acteurs.
Le rejet de la protection en l’absence d’intervention humaine en droit positif. Que ce soit dans la tradition française qui ne reconnaît d’œuvre protégée qu’en présence d’un créateur personne physique, ou plus récemment aux Etats-Unis[24] qui viennent d’affirmer ce principe, il existe un large consensus pour dire qu’une « quasi-œuvre » réalisée principalement par des AI génératives ne devrait pas bénéficier de la protection du droit d’auteur. La conséquence logique de cette affirmation, pourtant rarement énoncée en tant que telle est que ces productions doivent rejoindre le domaine public, ce qui est le sort habituel des objets non éligibles à la protection. De la sorte, si un label, plutôt que de faire appel à des auteurs ou des artistes interprètes produit un nouveau disque fait par une IA, toute personne pourra le copier, le communiquer au public sans avoir à demander l’autorisation. Il ne saurait y avoir d’exclusivité légale dans cette hypothèse. Lorsqu’un éditeur pense pouvoir se passer des services d’un graphiste pour faire réaliser sa couverture par une machine, il conserve la possibilité d’exploiter l’extrant et d’illustrer ainsi son ouvrage mais il devra alors courir le risque qu’une autre personne reprenne cette couverture – sous la réserve de la concurrence déloyale – pour en faire un libre usage.
Les vertus du domaine public. Ce dispositif écarte le recours à l’exclusivité légale pour se réserver les marchés d’exploitation mais le domaine public n’est pas pour autant synonyme de gratuité de l’usage final. Les romans des auteurs morts depuis plus de soixante-dix ne sont pas vendus gratuitement : les éditeurs réalisent des profits selon le type d’ouvrages qu’ils mettent à disposition mais ils ne jouissent pas ici de la rente que confère le monopole de propriété intellectuelle. Par ailleurs, l’insertion dans le domaine public ne signe pas le défaut d’intérêt de la société pour les productions qui y figurent mais marque la volonté du corps social, à propos de ces objets, de faire prévaloir le jeu de la libre de concurrence, de la liberté d’information et de la liberté d’entreprise comme ferment de la créativité, en lieu et place du monopole. Il n’y a nul « dépérissement » obligé des contenus figurant dans le domaine public et la non-protection de ces extrants n’est pas adverse à l’investissement dans l’IA puisqu’ils pourront librement circuler entre les opérateurs économiques, sans monopole constituant des barrières à l’entrée.
L’absence de régime déterminé du domaine public. Il est vrai que l’idée, singulièrement en France[25], manque de soutien. On se souvient que le projet de loi pour une République numérique avait, en 2016, entrepris de consacrer un régime juridique du domaine public informationnel dans un défunt article 8[26] qui n’avait jamais vu le jour en raison d’une forte hostilité du ministère de la Culture et du CSPLA[27]. De nombreux travaux théoriques[28] démontrent pourtant l’intérêt de penser positivement la catégorie et non comme un reliquaire, une solution par défaut, qui faute de détermination claire d’un régime autorise toute forme de réappropriation indirecte. La consécration du domaine public en droit d’auteur demeure donc limitée même si elle a fait son entrée timide mais remarquée dans la directive DAMUN[29]. En effet, au terme de la formule sibylline de l’article 14, « lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. » On comprend que l’envie du législateur européen était d’interdire la re-monopolisation d’œuvres dont la protection a expiré mais que le risque de contradiction avec le régime de l’œuvre dérivée l’a invité à la prudence. Il n’en demeure pas moins qu’est exprimée pour la première fois en droit de l’Union, l’idée qu’une œuvre du domaine public ne devrait pas être (re)protégée par le droit d’auteur et les droits voisins, à savoir une interdiction à monopolisation de l’objet même.
Un régime visant l’exclusion de la constitution d’exclusivités légales ou contractuelles. Proclamer le principe selon lequel les extrants essentiellement générés par des systèmes d’intelligence artificielle sont utilisables par tous et ne devraient ne pas pouvoir faire l’objet d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin en tant que tel constitue, en l’absence de régime ad hoc, le point de départ d’une réflexion à mener pour s’assurer que d’autres formes d’exclusivité ne sont pas indirectement constituées. Ainsi, il est courant dans certains des systèmes de générations d’images, de musique ou d’autres quasi-œuvres que les conditions générales d’utilisation imposées aux personnes qui pourtant actionnent ces systèmes prévoient que le résultat produit « appartient » au concepteur du système, laissant une simple licence d’utilisateur au prompteur. Il nous semble que l’affirmation de l’appartenance du produit généré par l’IA au domaine public contribuerait également à régler ce type de prétentions. Si l’apport du prompteur est accessoire, l’extrant est dans le domaine public et personne, pas plus ce dernier que les fournisseurs du système ne peuvent en revendiquer la propriété. Si la contribution humaine est tellement ténue qu’elle ne témoigne nullement d’un quelconque apport créatif, il n’y a aucune raison de consacrer là un droit d’auteur ou un droit voisin sauf à subvertir la matière. Si en revanche son apport est décisif, le droit d’auteur pourrait éventuellement être reconnu au bénéfice de la personne physique qui actionne le dispositif en raison du contrôle intellectuel qu’il maintient sur le processus créatif, si la condition d’originalité est remplie.
La détermination délicate du périmètre des items destinés au domaine public informationnel
Les extrants équipollents à des œuvres ou autres objets protégés. Si la logique du domaine public présente des atouts, l’érection d’un régime n’a cependant de sens que si on peut clairement identifier les éléments qui en relèvent. Or cette difficulté n’est pas mineure s’agissant des contenus a priori générés par des IA. La première question consiste à s’interroger sur la nature de ces productions informationnelles. En effet, ces outils sont susceptibles de générer toutes sortes de contenus, de produire tous types d’actions – conduite de véhicules, opérations chirurgicales…- et le développement fulgurant de la technique laisse augurer que nous ne sommes qu’au début du phénomène. Or, il ne s’agit pas ici de raisonner sur l’ensemble des résultats produits grâce, à l’aide ou par l’intelligence artificielle mais bien, comme nous l’avons dit plus haut, de nous intéresser spécifiquement à l’intervention des systèmes d’intelligence artificielle dans le champ de la création intellectuelle laquelle présente de forts risques de déstabilisation de l’écosystème. Le critère de l’intervention humaine décisive permet de faire le départ entre ce qui relèverait nécessairement du domaine public et ce qui pourrait y échapper.
L’intervention dans le domaine de la « création intellectuelle », un critère imprécis
L’absence de contours matériels du domaine public. Si on envisage le domaine public comme le négatif de la propriété intellectuelle, l’assertion selon laquelle les productions de l’IA sont refoulées de la protection devrait conduire à décalquer le domaine des objets inclus dans le domaine public informationnel sur le champ d’application de la propriété intellectuelle. C’est sur ce modèle que fonctionne le domaine public pour les œuvres dont la protection est révolue puisque seuls des objets qui relevaient du champ d’application des droits de propriété intellectuelle étaient visés. Ainsi seraient concernées les quasi-œuvres, les simili-inventions, les pseudo dessins et modèles. Mais une telle transposition est impossible dans la mesure où d’une part le champ d’application de la propriété intellectuelle est mouvant, de sorte qu’il n’est pas déterminé une fois pour toutes et parce que d’autre part, le champ d’application matériel du domaine public est, en tout état de cause non superposable à celui de la propriété intellectuelle car il accueille des productions qui, précisément, n’en relèvent pas.
Le droit d’auteur embrasse en son sein des œuvres dont ceux qui ont écrit les premières lois sur la protection n’avaient pas la moindre idée de leur survenance future. On parle de « propriété littéraire et artistique » mais le vocabulaire a depuis longtemps été tordu pour absorber des créations qui n’entretiennent que des liens lointains avec le sens premier de cette expression : logiciels, bases de données, boulon, panier à salade… La difficulté est encore plus grande pour le brevet qui ne détermine pas positivement de domaine d’intervention : l’invention peut se nicher dans n’importe quel secteur d’activité. Si la protection est parfois refusée à certains types d’invention dans des champs spécifiques (le vivant…), ces exclusions n’aident nullement à dessiner les contours identiques du domaine public puisque cette catégorie absorbe précisément, par défaut, tout ce qui ne peut pas faire l’objet d’une protection. A cette enseigne, l’expression selon laquelle les idées sont de libre parcours, véritable « totem » du domaine public ou la non-protection des informations « brutes » scellent difficilement la frontière entre ce qui relèverait à coup sûr du domaine public et ce qui serait susceptible de protection car des idées et des informations sont inclues dans des objets protégés.
Caractère composite du domaine public « informationnel ». La superposition des champs d’application n’est donc pas possible. Il faut convenir que le champ d’application matériel du domaine public est plus large que celui de la propriété intellectuelle et que les productions générées par des systèmes d’intelligence artificielle entreraient, par conséquent, dans un ensemble composite d’éléments dont certains ont été protégés par la propriété intellectuelle, d’autres en sont expressément exclus ou encore échappent complètement à ses prévisions. Le domaine public est une catégorie vaste, susceptible d’accueillir en son sein les productions des IA génératives, sans que pour autant cela n’entraîne une identification claire des items concernés. Cette indifférenciation n’est pas gênante à ce stade, mais elle doit nécessairement être levée dans l’hypothèse de la mise en œuvre d’un domaine public payant dont le champ d’application recouvrirait alors un périmètre moins vaste que le domaine public en général et qui serait homothétique avec celui des objets susceptibles d’être protégés par la propriété intellectuelle, ce que l’on envisagera plus avant.
La nécessité d’un critère de délimitation le caractère décisif de l’intervention de l’humain
- Intérêt du critère
Degrés d’intervention de l’humain et de la machine. S’il n’est pas possible de déterminer avec précision quelle est la nature des résultats produits par l’IA qui entrent dans le domaine public dans un ensemble composite, il est en revanche loisible de défendre que le régime devrait s’imposer en l’absence d’intervention décisive de l’humain dans le résultat produit[30]. Ici encore les frontières sont poreuses et l’exercice de délimitation est périlleux[31]. En effet, l’intelligence artificielle, si mal nommée, n’est pas encore pleinement autonome et la mise en œuvre des systèmes nécessite toujours, et c’est heureux, une intervention humaine. Des individus supervisent les actions de la machine, d’autres les programment et les améliorent, d’autres les pilotent pour parvenir aux résultats escomptés, etc. Ainsi, l’humain est encore présent aux différents stades qui président à l’élaboration d’un extrant produit par une IA générative. Il ne s’agit pas d’exclure du bénéfice éventuel du droit d’auteur, des droits voisins, du droit des dessins et modèles ou encore du droit des brevets toute création qui serait le fruit d’une utilisation des systèmes d’IA génératives par une personne humaine mais d’affirmer qu’une simple mise en œuvre des fonctionnalités de la machine ou un investissement financier dans la création, l’achat ou la manipulation de l’outil ne sauraient donner matière à monopolisation du résultat produit.
Critère de l’intervention humaine décisive « intellectuelle » dans le droit d’auteur. oui. Le critère de l’intervention humaine décisive semble se dessiner en creux[32] dans la jurisprudence encore balbutiante et dans la doctrine[33]. La conception personnaliste du droit français est en accord avec un tel critère dans la mesure où elle n’accueille nul autre auteur qu’une personne physique, même si, à la marge, les mécanismes de titularité permettent de traiter une personne morale comme un auteur[34]. En d’autres termes, les soubassements du droit d’auteur supposent une intervention humaine intellectuelle dont l’intensité est telle qu’elle se prolonge par une condition d’originalité exigeant l’empreinte de sa personnalité dans l’œuvre réalisée. Même édulcorée par le droit européen[35], le critère d’une création intellectuelle propre à son auteur semble bien là encore passer par une intervention du cerveau (création intellectuelle), qui permet une forme d’identification de son apport (propre à son auteur), en d’autres termes que l’intervention de l’humain-auteur soit identifiable en tant que telle dans l’œuvre[36]. D’autres Etats comme les Etats-Unis[37] et l’Australie[38] ont déjà utilisé ce critère de l’absence d’intervention humaine pour dénier la protection du droit d’auteur aux extrants générés par des IA ou pour conclure à une application distributive de la protection selon ce degré d’intervention de l’auteur et de la machine. Sans développer longuement les principes fondamentaux sur lesquels repose le droit d’auteur il s’agit d’en affirmer la pertinence comme critère de sélection entre ce qui pourrait relever de la protection et ce qui devrait ne pas jouir d’un tel statut.
Critère de l’intervention humaine décisive corporelle pour les prestations des artistes interprètes. La question des droits voisins est à cet égard plus délicate car les seuils qui sont imposés pour bénéficier de la protection sont diffus et la marque de l’humain moins évidente. Le droit de l’artiste interprète est sans doute celui qui, de ce point de vue, pose le moins de problème. L’intervention humaine est ici d’une autre nature puisqu’elle est davantage corporelle qu’intellectuelle, l’artiste constituant l’intermédiaire humain par lequel l’œuvre sera perceptible aux sens d’un public, lui-même constitué d’humains. Le droit voisin n’est d’ailleurs pas reconnu à l’artiste dit de complément dans la mesure où l’intervention de ce dernier n’est pas décisive dans la prestation réalisée. L’exigence d’humanité est ici double si on considère que le droit voisin de l’artiste ne peut s’appliquer qu’à une prestation réalisée par une personne physique à partir d’une œuvre elle-même créée par une personne physique. Si l’humain en tant que personne agissante n’est plus impliqué dans l’interprétation de sa prestation, il n’est pas souhaitable qu’un monopole soit reconnu à l’opérateur qui générera une interprétation faite par la machine ou au fournisseur de la technologie, a fortiori si celle-ci emprunte des attributs des artistes existants.
L’intervention décisive dans l’octroi des droits voisins des investisseurs : un critère à imposer. La difficulté réside davantage dans l’octroi des droits voisins liés à des efforts d’investissement dans la production de contenus. Ici, nulle trace de l’exigence d’une intervention humaine décisive qui permettrait de faire le départ entre ce qui peut être protégé et ce qui ne doit pas l’être : les bénéficiaires sont essentiellement des personnes morales et le monopole leur est octroyé en contrepartie du risque économique pris dans le financement de la production ou de la diffusion de ces contenus. En outre, la notion de voisinage a évolué de telle sorte que des droits sont reconnus même là où aucune œuvre protégée n’est impliquée : le programme pour le radiodiffuseur, les bases de données non originales pour le producteur de la base, etc. La jurisprudence a même acté l’absence de nécessité d’une œuvre préalable pour le producteur de phonogrammes lui reconnaissant un droit sur la fixation[39] de chants d’oiseaux[40]. Comment, dès lors, exiger ce critère de l’intervention humaine décisive pour court-circuiter la possibilité de monopolisation de productions uniquement générées par des IA au bénéfice de ceux qui auraient investis dans l’emploi de tels systèmes, alors que ce critère n’est pas requis pour les autres types de production ?
Plusieurs arguments pourraient être avancés dans cette perspective. En premier lieu, la notion de voisinage pourrait retrouver quelque peu de vigueur, comme le principe d’articulation entre les droits d’auteur et les droits voisins qui suppose que ces derniers ne fassent pas obstacle aux premiers[41]. Or dans cette perspective hiérarchique, on voit mal ce qui justifierait qu’un monopole soit octroyé au producteur d’une mélodie entièrement générée par une IA, en raison de la fixation du son tandis qu’aucun droit d’auteur ne pourrait être reconnu dans ce cas. Par ailleurs, le droit du producteur de phonogramme persisterait si cette mélodie est interprétée par un artiste Interprète alors que faute d’œuvre susceptible de protection, il est douteux que ce dernier puisse faire valoir son droit voisin. La déstabilisation des relations entre les titulaires, liée à l’absence d’une exigence d’intervention humaine décisive augure de sérieuses difficulté, par exemple s’agissant de la rémunération équitable. En effet, s’il suffit de fixer un enregistrement d’une chanson produite exclusivement par une IA afin de jouir d’un droit exclusif, il existe un risque que les investissements[42] réalisés par les producteurs dans la production d’œuvres créées par des auteurs humains et interprétées par des artistes humains chutent drastiquement au profit de projets moins exigeants et possiblement plus rentables. Il n’y a aucune raison de confier un monopole dans ce cas et le régime du domaine public, permettant à chacun de reproduire et d’utiliser librement les objets produits, serait un bon moyen de continuer à inciter les producteurs à investir dans la création humaine.
Il nous semble enfin que si le critère de l’intervention humaine décisive ne se trouve pas expressément dans les textes, il peut néanmoins s’inférer de la ratio legis. Non seulement les droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ont été initialement octroyés pour inciter à la production d’œuvres de l’esprit et donc de créations impliquant l’intervention humaine mais le même constat vaut, selon nous, pour les éditeurs de presse dont on ne voit pas pourquoi ils pourraient revendiquer un droit exclusif sur des publications de presse générés non par des journalistes mais par des IA. La mention des droits des journalistes dans le mécanisme du droit voisin de l’éditeur de presse et de leur vocation à bénéficier indirectement des produits de ce droit montre que le législateur n’envisageait pas ce mécanisme sans l’intervention des journalistes-auteurs-humains. La question est plus délicate pour les producteurs de base de données qui pourraient, le cas échéant, continuer à réclamer leur droit sui generis sur des bases de données générées par des IA, dès lors qu’ils sont en mesure de prouver pour ce faire que l’investissement réalisé est quantitativement ou qualitativement substantiel. L’abaissement important des coûts lié à l’utilisation de tels systèmes justifierait éventuellement le refoulement de la protection en considérant que l’investissement n’est alors pas suffisamment substantiel.
L’absence d’intervention humaine décisive comme ligne de partage entre les mécanismes de réservation et le domaine public. In fine, il semble que retenir le principe selon lequel tout extrant généré par une IA qui ne comporte pas une intervention humaine décisive dans le processus créatif doit relever de la libre concurrence et du domaine public serait opportun tant pour le maintien des équilibres entre titulaires de droit que pour stimuler l’investissement dans la production de créations humaines. Encore faut-il disposer des éléments concrets permettant la mise en œuvre du critère.
- La preuve de l’intervention humaine décisive et le système de présomption
Vérification de l’intervention humaine et de l’intervention de la machine. L’adoption d’un critère permettant de faire le départ entre ce qui relève ou non du domaine public n’est d’aucune utilité s’il est excessivement difficile d’en déterminer l’existence. Or, la preuve d’une intervention humaine décisive pourrait s’avérer difficile à rapporter dès lors que le processus de création est opaque et que les opérateurs auront tout intérêt à rester évasifs sur la question s’ils craignent d’y perdre le bénéfice d’un droit exclusif. L’ objection n’est cependant pas dirimante. Cette question n’est pas nouvelle en droit d’auteur qui connaît des revendications intempestives et des fraudes ; elle irrigue par ailleurs toute la discussion autour de la transparence dans le débat qui accompagne l’adoption du règlement sur l’Intelligence Artificielle. Cette exigence de transparence est désormais inscrite dans le projet de texte et ne cesse d’être renforcée. Il s’agit en effet pour les individus de savoir si le service qui leur est fourni, si le produit qui est réalisé l’ont été grâce à l’intervention d’une intelligence artificielle. Il demeure important d’être informé sur la qualité de son interlocuteur : suis-je en train de parler à un humain ou à un chatbot ? La décision a-t-elle été prise par des personnes humaines ou est-elle le simple produit d’un calcul ? Les exemples sont légion et l’intérêt de cette obligation de transparence qui va bien au-delà des questions du droit d’auteur n’est pas discutable.
La transparence et ses limites. Les personnes qui utilisent des systèmes d’IA génératives devront en faire état, de sorte que les destinataires des objets produits soient informés. Cette obligation de transparence permettra certes de faciliter, par la négative, la preuve de l’intervention humaine décisive mais elle ne saurait y suffire. Comme il a été dit, nombre d’objets hybrides seront réalisés à l’aide de tels systèmes, sans que pour autant tout droit de propriété intellectuelle ne soit disqualifié et que l’objet qui en résulte soit nécessairement inclus dans le domaine public. Ainsi l’invocation à la transparence ne pourra pas être une clé de résolution de toutes les difficultés. Il y aura sans doute un intérêt à ce que cette information revête des gradations quant au degré d’utilisation de l’IA pour affiner le modèle. Une mesure de l’intensité avec laquelle le système est utilisé permettrait d’approcher de la preuve du critère proposé par approximation. Si l’indicateur précise que l’objet est produit exclusivement par un mécanisme automatisé, le critère fera assurément défaut, mais les situations intermédiaires seront sans doute nombreuses. Des techniques d’identification pourront peut-être conduire à avoir une idée nette de la pondération de l’utilisation des systèmes et de l’intervention humaine mais tout ceci demeure encore en construction, de sorte qu’il est difficile de s’en remettre exclusivement à ce type de solutions.
Présomption de non-intervention du fait de la non-attribution. Il convient donc d’ajouter un autre mécanisme probatoire, sans pour autant mettre à la charge des titulaires une preuve impossible : celle de n’avoir pas utilisé un système d’IA. La prohibition des formalités en droit d’auteur s’oppose à ce que le bénéfice de la protection soit assujetti à une telle démonstration. Il y aura certes un débat quant à la réalité de l’intervention de l’auteur lors d’un litige en contrefaçon mais il n’existe pas de précondition de non-déclaration d’utilisation d’un outil d’intelligence artificielle pour jouir du droit. Il faut pourtant parvenir, dans l’optique qui est poursuivie, à déterminer les éléments entrant dans le périmètre du domaine public, tout particulièrement ceux d’entre eux qui devraient générer le paiement d’une rémunération en cas d’utilisation. Le mécanisme de la présomption peut ici jouer son rôle. Lorsque la divulgation de l’œuvre est faite sous le nom d’une personne, celle-ci est sauf preuve contraire, présumée en être auteur au terme de l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle[43]. Il suffirait d’inverser la proposition et d’affirmer que dans le cas où l’IA est utilisée, ce qui en principe fera l’objet d’une obligation d’information et qu’en outre, aucune attribution n’est faite à une personne physique désignée comme auteur, l’extrant serait réputé être dans le domaine public. Si l’exploitation de l’extrant ne donne lieu à aucune attribution à au moins une personne désignée comme autrice, susceptible de revendiquer un droit moral comme un droit patrimonial, elle serait présumée relever du domaine public. La présomption est, bien entendu, simple, de sorte que l’absence de crédit d’une personne humaine lorsqu’une IA est utilisée n’empêchera pas un auteur de revendiquer des droits sur sa création, s’il parvient à montrer le caractère décisif de son intervention et son originalité. A l’inverse, on peut imaginer, à l’instar de ce qui existe en droit américain qu’une revendication d’un droit de propriété littéraire et artistique qui se ferait alors qu’aucune personne humaine n’a été impliquée de manière décisive dans le processus de création de l’extrant puisse donner lieu à une sanction.
Évaluation du caractère décisif. Reste à jauger ce qui sera décisif dans l’intervention humaine. Cette question renvoie plus généralement aux critères déterminant la qualité d’auteur, de l’artiste interprète, voire celle des autres titulaires et aux exclusions qui les entourent. L’intervention est-elle seulement intellectuelle ou est-elle également manuelle ? Que doit peser chaque auteur lorsque l’œuvre est créée par plusieurs personnes pour atteindre ce seuil ? La personne humaine a-t-elle effectivement joué un rôle de conception ou est-elle cantonnée à des tâches d’exécution, etc. En réalité, ces questions sont tout à fait classiques et n’intéressent que de manière négative la définition du périmètre du domaine public. Elles devront faire l’objet d’éventuelles clarifications par la jurisprudence.
A supposer que toutes les discussions relatives à la preuve de l’appartenance au domaine public soient purgées, lorsque l’extrant est dans le domaine public et que son usage est concurrentiel de celui de la production des humains devrait être déclenché un mécanisme compensatoire, venant rééquilibrer les conditions d’exploitation sur les marchés concernés. Plusieurs systèmes sont envisageables : une TVA majorée, une taxe affectée, mais il en est qui puise son fondement dans l’histoire de la propriété intellectuelle et qui semble plus idoine pour organiser un système vertueux pour les humains créateurs : le domaine public payant.
1.2. Le(s) modèle(s) de domaine public payant
Libre utilisation payante. Le domaine public payant part d’une idée simple qui était celle d’éviter aux auteurs vivants la concurrence des auteurs morts. Ce mécanisme a fait l’objet d’une intense doctrine et est revenu de manière récurrente dans les grands débats du droit d’auteur en France et dans le monde. Il a connu un succès divers et s’est manifesté de multiples manières. Il n’est pas sans parenté avec la situation qui nous occupe, à savoir la concurrence des auteurs humains par les machines[44]. La prémisse est que les extrants a priori générés par les machines n’ont pas vocation à être protégés par des droits de propriété intellectuelle, faute d’intérêt social à récompenser par un monopole les opérateurs qui préfèrent employer ces outils plutôt que de faire appel à des créateurs humains. Leur destin est donc d’être dans le domaine public et librement réutilisables, dans le cadre d’une concurrence ouverte. Mais il serait tout à fait contre-productif pour l’encouragement de la création humaine que leur usage soit gratuit.
Certes, l’exploitant qui aurait recours à ces ersatz prendrait le risque d’être copié sans pouvoir s’y opposer par les outils de la contrefaçon, mais il pourrait toujours activer la menace de la concurrence déloyale ou du parasitisme pour s’opposer à certaines reprises si les conditions de ces actions étaient remplies. Il convient donc d’ajouter un second outil de dissuasion, visant à savoir rendre moins attractif l’emploi de ces extrants par l’instauration d’un système de domaine public payant. Si le mécanisme présente un certain nombre d’atouts, sa mise en œuvre suppose néanmoins d’apporter des précisions en vue de façonner l’outil pour l’hypothèse qui nous occupe.
- L’idée du domaine public payant de Victor Hugo à Adolf Dietz
Variété des modèles dans le temps et dans l’espace. Il n’y a pas un mais plusieurs modèles de domaine public payant. L’idée a germé dès le XIXème siècle notamment chez Alfred de Vigny[45], chez Pierre-Jules Hetzel[46] ou de manière plus spectaculaire chez Victor Hugo[47] qui l’a défendue avec passion lors des discours qui avaient présidé à la création de l’ALAI. Elle était intimement liée, à l’origine, à la prolongation de la durée de protection du droit d’auteur post mortem. Plusieurs variantes étaient proposées : prélever une partie des redevances d’exploitation des œuvres utilisées après la mort de l’auteur, taxer les exploitants qui préféraient utiliser des auteurs de répertoire qui n’étaient plus protégés au détriment des auteurs vivants, etc. La notion de domaine public s’est étendue et a été ensuite déclinée selon de multiples schémas dans différents pays.
En France, on en voit des illustrations dans le système de rémunération ponctionnée sur les œuvres non protégées en raison d’un défaut de réciprocité et affectée à des actions culturelles, bien que le dispositif n’ait jamais été véritablement activé[48] ou encore dans la pratique de conclusion de contrats avec les exploitants de salles de spectacles mutualisant les tarifs pour la représentation des auteurs dramatiques afin de les inciter à jouer le répertoire contemporain, etc. Certains Etats[49], à l’instar de l’Argentine[50], ont mis en œuvre un véritable prélèvement fiscal sur toute utilisation d’une œuvre du domaine public, y compris dans des œuvres dérivées[51]. Ainsi de loin en loin, le mécanisme a dépassé la seule hypothèse des œuvres dont la durée de protection avait expiré pour viser d’autres cas de figure. Il a emprunté plusieurs systèmes de prélèvements – fiscal, de droit privé – et conduit à diverses formes de redistributions – au profit de l’Etat, de l’action culturelle, de l’entretien du domaine public -. Si plusieurs pays ont adopté de tels mécanismes[52] visés notamment dans les accords de Bangui[53], ces derniers demeurent toujours quelque peu résiduels et interviennent de manière limitée[54]. La notion de domaine public payant n’en a pas moins toujours été un formidable laboratoire d’idées fécondes[55].
Plusieurs initiatives rattachent le mécanisme à la législation sur le droit d’auteur. Ainsi le projet de loi que Jean Zay déposa le projet de loi sur le droit d’auteur, le 13 août 1936 comportait un article 21 prévoyant une durée de protection de cinquante ans après la mort de l’auteur mais dont les quarante dernières années devaient donnaient lieu à une sorte de licence légale, qui aurait permis à tout éditeur de publier ou de reproduire l’œuvre, moyennant le paiement d’une redevance. Cette disposition, bien que farouchement discutée avait néanmoins été inscrite à l’ordre du jour du Parlement pour la rentrée de novembre 1939 mais la guerre en décida autrement et le projet de loi dans son ensemble fut définitivement enterré.
Approche communautaire du domaine public payant. Adolf Dietz, un auteur de doctrine allemande, a dès 1976 également promu l’idée que le domaine public payant relevait non pas de la fiscalité mais de la législation sur le droit d’auteur en proposant qu’un nouveau sujet – la communauté des auteurs – soit le bénéficiaire d’une part des profits générés par l’exploitation des œuvres du domaine public[56]. Cette approche collectiviste n’est pas sans rappeler les travaux visant à associer les acteurs des savoirs traditionnels et du folklore à l’exploitation commerciale par des tiers des objets qui en sont issus[57]. Dans cette perspective, le refoulement de la protection de ces éléments par le droit de propriété intellectuelle ne serait pas total et les communautés pourraient recevoir une forme de compensation en contrepartie de l’extraction non autorisée.
Le domaine public payant comme instrument de la propriété intellectuelle. L’idée d’Adolf Dietz, en parlant de droit de la communauté des auteurs plutôt que de domaine public payant consistait à écarter la dimension fiscale de ce dernier pour se concentrer sur une forme de continuité et de solidarité entre générations d’auteurs. Il se situait néanmoins dans la seule perspective d’une contribution prélevée sur l’exploitation des œuvres qui n’étaient plus protégées en raison de la révolution du monopole et non sur une vision plus large du domaine public. L’intérêt de la présente approche est, comme il a été dit plus haut, d’intégrer le régime du domaine public en général et du domaine public payant en particulier au sein du système de la propriété intellectuelle, afin qu’il constitue un instrument d’équilibre interne et non un mécanisme totalement extérieur, qui relèverait du seul droit commun de la notion de choses communes. Ainsi rattachés au droit de la propriété intellectuelle, les outils du domaine public informationnel et sa sous-déclinaison payante seraient légitimement exercés par des entités privées, à des fins variées comme celle de la promotion de la culture et de l’innovation par les humains.
- La mise en œuvre du mécanisme
Bac à sable. Le présent article n’entend pas résoudre l’ensemble des difficultés de mise en œuvre que l’instauration d’un tel dispositif suscite. Elles sont nombreuses et ne sont pas toutes susceptibles d’être anticipées. Il s’agit plutôt, tout en présentant l’idée d’essayer d’en mesurer la faisabilité, sans nécessairement déterminer tous les choix afférents à l’application du dispositif. Cette seconde phase de « bac à sable » suppose que déjà on souscrive au principe même du mécanisme et la présente analyse n’est, pour l’heure, qu’une bouteille jetée à la mer dans cette direction. On envisagera successivement certaines des contraintes et des options ouvertes.
- Les contraintes
Intervention législative nécessaire et possible. La première des contraintes est que l’installation du domaine public payant suppose une intervention législative. Pour l’heure, le flou prospère sur le statut des extrants générés par l’IA et le marché s’oriente soit vers une libre utilisation de tout ce qui, peu ou prou, a nécessité l’intervention des systèmes d’IA pour être produit, soit vers des revendications discutables de propriété intellectuelle de la part des fournisseurs des systèmes employés dans les CGU. Une clarification s’impose par conséquent par la loi, à un double niveau : affirmer l’appartenance au domaine public et donc l’impossibilité d’une revendication de droit de propriété intellectuelle sur de tels contenus d’une part, instaurer un mécanisme compensatoire en contrepartie de l’exploitation de ces extrants d’autre part.
Le législateur français s’il prend l’option du domaine public payant n’est en revanche pas tenu par l’acquis communautaire, dans la mesure où cette question n’a pas fait l’objet d’une harmonisation, hormis en ce qui concerne l’article 14 de la directive DAMUN précité. Par conséquent, il a pleine compétence pour intervenir s’agissant de l’exploitation de ces extrants sur le territoire français. La difficulté vient sans doute du risque de « tirer le premier » et d’instaurer un tel mécanisme alors que l’utilisation des mêmes objets demeure gratuite dans d’autres pays. On peut sans doute anticiper un mécontentement de la part des débiteurs de la rémunération qui ne manqueront pas de souligner que les titulaires du droit d’auteur empêchent l’innovation en renchérissant l’accès à ces productions par une forme déguisée de taxation etc. Soit. Il faut bien commencer quelque part. Il n’est pas exclu que d’autres Etats suivent la même démarche tant la question devient aigüe dans les pays qui ont une forte économie de la création. Surtout l’assujettissement serait lié à l’exploitation de ces extrants et le lien de rattachement au territoire national pourra éviter les risques de contournement vers un régime moins-disant. En outre, comme il a été dit, la solution actuelle qui consiste à laisser s’installer des comportements de passagers clandestins visant à recréer d’éventuelles exclusivités au profit d’entités en position de force économique, technologique et contractuelle sur le marché n’est pas satisfaisante.
Analyse d’impact. Si la finalité du mécanisme est de dissuader les exploitants de se tourner vers des extrants, il ne faut cependant pas que le mécanisme soit excessivement complexe et pénalisant pour le développement de l’IA. Tel ne devrait pas être le cas si le dispositif détermine clairement son périmètre d’intervention et si la rémunération n’est acquittée que sur la production ou l’exploitation d’extrants équipollents à des œuvres ou objets protégés. Une analyse économique circonstanciée constitue toutefois un préalable nécessaire à l’installation d’un domaine public payant pour fixer les niveaux de prélèvements idoines au regard des objectifs de politique publique poursuivies.
- Les options ouvertes
Sky is the Limit. La variété des modèles de domaine public payant existants, tout autant que leur relatif manque d’effectivité autorise l’imagination et permet d’envisager, à ce stade, des options variées sur les questions du fait générateur de la rémunération, des débiteurs, du montant de la rémunération, de sa collecte ainsi que son affectation.
Fait générateur. S’agissant du fait générateur de la rémunération, on peut hésiter essentiellement entre deux options : l’exploitation[58] d’un extrant généré par une IA ou la simple utilisation d’une certaine technologie. La première hypothèse est sans doute la plus évidente dans la mesure où elle s’appuie sur un fait intervenant sur le même marché que celui sur lequel se trouvent les titulaires de propriété intellectuelle, à savoir l’acte d’exploitation des objets substituables. Se posera alors inéluctablement la question du type d’usage assujetti – exploitation commerciale, utilisation privée, utilisation de l’extrant de premier niveau, reprise de tout ou partie de l’extrant dans une œuvre complexe…
La seconde intervient en amont de ce marché et permet de saisir le processus même de production, indépendamment du succès de l’exploitation des extrants ; c’est l’usage des systèmes d’intelligence artificielle de génération de ce type d’extrants qui serait alors concernée. Les deux propositions supposent toutefois non seulement que l’utilisation de la technique soit identifiée ou identifiable dans l’extrant mais aussi que le type de technologie visée soit circonscrite par le texte, avec le risque inéluctable d’une obsolescence du mécanisme si cette définition est trop restrictive. L’approche par la technique permet également d’éventuelles modulations telles que la prise en considération des externalités négatives de l’emploi d’une technologie énergivore (le coût du prompt) ou une forme de garantie de la licéité by design des solutions proposées (traçabilité des contenus ayant alimenté les données d’entraînement, protection des données à caractère personnel). L’exercice est difficile mais il peut accompagner la mise en place de la régulation sur l’intelligence artificielle et fournir l’opportunité d’inciter les opérateurs à fournir des solutions techniques plus « responsables ».
Débiteurs possibles de la redevance. A la suite de cette question se pose celle des débiteurs de la rémunération, qui, dans un premier mouvement, invite à viser les exploitants de ces extrants dans la mesure où ils sont les bénéficiaires des gains d’efficience liés à l’utilisation de productions moins coûteuses que les productions humaines pour la rémunération de la création. Il serait donc logique que la charge pèse sur ces derniers. Le problème de la transparence et de l’éventuelle fraude doit être, dans la mesure du possible anticipé. Comment savoir que l’exploitant utilise un objet produit avec de l’intelligence artificielle ? Ne serait-il pas possible de contourner le dispositif en utilisant des instruments d’attribution vagues à la manière des DR pour les crédits photographiques ? Ne serait-il pas plus opportun de prélever la dîme auprès des entreprises qui fournissent la technologie dans la mesure où la traçabilité de leur intervention est possible? Elles bénéficient aussi de l’engouement de leurs clients pour les productions générées par leurs outils, tout en réalisant des profits lorsque l’utilisation de ces outils donne lieu à des redevances ? Faut-il aller impliquer l’utilisateur de la technologie (celui qui créé l’extrant) ou éventuellement cumuler les débiteurs ? Serait-il opportun de distinguer, comme cela existe pour la rémunération pour copie privée entre les personnes qui causent le préjudice (l’utilisateur) et celles qui sont effectivement débitrices de la compensation (les industriels), de sorte à construire des modèles économiques efficients pour la collecte en centralisant les débiteurs ?
Montant de la rémunération. S’agissant de la rémunération, elle peut être fixée de manière forfaitaire ou proportionnelle et déterminée selon une certaine assiette et un certain taux. Les accords de Bangui précités prévoient, par exemple, à l’article 68 paragraphe 2 que le montant de la rémunération liée à l’exploitation des œuvres dans le domaine public soit équivalent à la moitié des « rétributions normalement allouées d’après les contrats ou usages en vigueur aux titulaires de droits d’auteur et de droits voisins sur leurs œuvres et productions protégées. » Serait-ce suffisant pour dissuader les exploitants de se tourner vers les contenus générés par des IA au profit des créations humaines ? Faut-il s’inspirer de mécanismes compensatoires existants comme la rémunération pour copie privée ou la licence légale pour la radiodiffusion des phonogrammes du commerce et envisager la fixation de redevances au terme d’un processus de négociation entre les acteurs du marché, voire par des commissions administratives déterminant des tarifs obligatoires ? Si la modulation du mécanisme selon la technologie utilisée est une option retenue, elle peut se traduire également au niveau des taux de rémunération, etc. Ici encore les options sont légion et présentent des avantages et inconvénients respectifs dont la pesée revient aux responsables de la conduite de la politique publique au service de laquelle l’instrument du domaine public payant est mobilisable.
Perception et redistribution. Dans cette perspective, il reste à envisager les mécanismes de perception et de redistribution des sommes collectées. Différents modèles existent, de la gestion collective obligatoire à la perception par un organe ad hoc, d’autres peuvent être créés en fonction de la destination finale des rémunérations perçues. La redistribution directe aux ayants droit semble difficile à réaliser dans la mesure où – hormis les extrants dont la similitude avec une œuvre existante pourrait l’assimiler à une copie – il sera sans doute extrêmement difficile d’établir un lien individuel entre le préjudice subi par un auteur et l’exploitation des contenus générés par l’IA[59] . Le domaine public payant s’apparente à un mécanisme global, plus proche d’un fonds de soutien que d’un système assurantiel qui répartirait à chacun à hauteur du préjudice subi. Il me semble, dès lors, que le système devrait être celui de l’affectation des sommes à des fins collectives, permettant une redistribution indirecte de la richesse produite sur la communauté des auteurs vivants, puisqu’il s’agit de promouvoir la création humaine. Là encore des mécanismes existants peuvent fournir l’inspiration d’une solution réaliste : l’affectation des 25% de la copie privée ou des irrépartissables à des fins de promotion de l’action culturelle, l’utilisation de certaines sommes par les OGC à des fins d’aide sociale à leurs membres etc. La définition des mécanismes de redistribution est, à nouveau, fonction des objectifs de politique publique : aide aux jeunes créateurs, assistance sociale aux nécessiteux, formation des artistes aux nouveaux outils pour accompagner la transition, maintien des savoirs-faire techniques alternatifs de la production automatique pour accompagner la sobriété énergétique, organisation de manifestations subventionnées…
Conclusion. Pour finir, l’ensemble des solutions possibles donne une impression de tournis tellement elles sont nombreuses, ce qui fournit un horizon plus florissant que le constat amer d’une avancée technique qui peut se réaliser contre l’humanité. Il faut, de manière générale, se garder de penser que l’apparente nouveauté d’un phénomène engendre nécessairement la nouveauté de la réponse juridique qui l’accompagne. Avant de verser dans des régimes inédits dont l’efficacité n’est pas encore avérée et la juridicité complexe (les droits voisins pour les robots ou le droit d’auteur pour les fournisseurs de systèmes d’IA) il est possible d’aller chercher dans les notions existantes les germes d’une solution possible. Ainsi, une lecture hardie du test en trois étapes pourrait disqualifier partiellement l’exception gratuite de TDM. Par ailleurs, une vieille idée est susceptible, non pas de résoudre toutes les difficultés mais de rendre service à l’économie du droit d’auteur qui voit arriver cette déferlante de l’IA comme une menace existentielle : elle s’appelle le domaine public payant.
Il n’existe pas de solution providentielle pour accompagner la mutation qui s’annonce et qui va irriguer l’ensemble de la société. Des choses nouvelles surgissent tandis que d’autres seront, à l’évidence, détruites. Mais la combinaison de plusieurs mécanismes qui vont de l’éviction des asymétries informationnelles par le jeu d’obligations de transparence à la prise en compte des externalités négatives de l’IA pour favoriser l’apparition d’une technologie responsable, en passant par une formation aux outils et/ou des logiques de subventionnement, permettra peut-être, conjuguée avec les systèmes compensatoires étudiés, de rendre moins douloureuse la révolution industrielle qui est en marche pour la communauté des créateurs humains.
[1] Cet article partage plusieurs idées qui sont également discutées par M. Senftleben, dans son article, Generative AI and Author Remuneration. IIC 54, 1535–1560 (2023). https://doi.org/10.1007/s40319-023-01399-4 Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=4478370. Si les thèmes en sont communs, les positions défendues sont toutefois souvent différentes, ce qui sera souligné à l’occasion des dissensus. Il est encore en chantier et risque de s’améliorer grâce à vos retours.
[2] T. di Lampedusa, la célèbre phrase prononcée par Don Fabrizio Corbera, prince de Salina dans le roman Le Guépard.
[3] Encore que ce concept soit très approximativement défini. On en voit l’apparition dans la version du Parlement européen du projet de règlement sur l’Intelligence Artificielle article 28 ter comme un sous ensemble des intelligences artificielles à finalité générale, comme des systèmes « destinés spécifiquement à générer, avec différents niveaux d’autonomie, des contenus tels que des textes, des images, des contenus audio ou des vidéos complexes (IA générative).
[4] À sa sortie, la chanson a aussitôt atteint la première position du Digital Song Sales chart de Billboard, qui compile le nombre de téléchargements aux États-Unis.
[5] Notamment sur les enjeux de l’IA sur le monde du travail dans le secteur de la création, voir l’impressionnante revue de littérature de sciences sociales, Deranty, JP., Corbin, T. Artificial intelligence and work: a critical review of recent research from the social sciences. AI & Soc (2022). https://doi.org/10.1007/s00146-022-01496-x
[6] Cette option est notamment poussée par le rapport fait au CSPLA sur les enjeux juridiques et économiques de l’intelligence artificielle dans les secteurs de la création culturelle, A. Bensamoun, J. Farchy, P.-F.Schira, rapporteur, notamment à propos des œuvres générées par des IA: « le droit d’auteur semble suffisamment souple pour recevoir ces créations et que l’attribution des droits au concepteur de l’IA semble de nature à apporter des solutions pertinentes. C’est ce que semble avoir décidé une cour chinoise, au bénéfice de l’entreprise Tencent. Aussi, sauf à ce que la jurisprudence mette en exergue un besoin nouveau ou refuse de recevoir ces réalisations, le droit positif devrait pour l’heure pouvoir être appliqué, dans une lecture renouvelée des critères d’accès à la protection » p. 48.
[7] J.-M. Deltorn, Droit d’auteur et créations des algorithmes d’apprentissage, PI janvier 2016, n° 58, p. 4.
[8] Face au développement des outils d’intelligence artificielle (IA), la SACEM annonce exercer son droit d’opposition (opt-out) au profit de ses membres, Légipresse 2023. 519 — 27 octobre 2023.
[9] M. Senftleben, qui a fait sa thèse sur le test en trois étapes M.R.F. Senftleben (2004), Copyright, Limitations and the Three-Step Test: An Analysis of the Three-Step Test in International and EC Copyright Law, The Hague/London/New York: Kluwer Law International 2004, considère dans plusieurs de ses articles que la faculté d’opt out disqualifie l’atteinte à l’exploitation normale et l’existence d’un préjudice injustifié ; v. M.R.F. Senftleben (2014), “How to Overcome the Normal Exploitation Obstacle: Opt-Out Formalities, Embargo Periods, and the International Three-Step Test”, Berkeley Technology Law Journal Commentaries 1, No. 1 (2014), 1 et dernièrement sur le sujet qui nous occupe Senftleben, Martin, Generative AI and Author Remuneration préc.
[10] R. Ducato, A. Strowel: Ensuring Text and Data Mining: Remaining Issues with the EU Copyright Exceptions and Possible Ways Out, European Intellectual Property Review 43 (2021), 322.
[11] A. Bensamoun, To be or not to be…transparent – Pour un principe matriciel de transparence dans l’environnement numérique, Dalloz Actualité, 6 décembre 2023.
[12] Ainsi, le code de la propriété intellectuelle, article L. 112-2, sans jamais définir la notion propose par le jeu d’une présomption légale, une liste d’œuvres « réputées » être œuvres de l’esprit qui s’énonce comme une énumération non limitative de productions intellectuelles dans des domaines variés de la création, œuvre cinématographique, livre, photographie, dessin etc.
[13] CJUE, 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C‑833/18, EU:C:2020:461, points 22 à 25).D’une part, cette notion exige un objet original qui est une création intellectuelle propre à son auteur et, d’autre part, elle exige l’expression de cette création. En ce qui concerne le premier élément, pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. Pour ce qui est du second élément, la notion d’« œuvre » visée par la directive 2001/29 implique nécessairement l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité.
[14] Voir sur ces problématiques déjà anciennes, E. Ulmer, Les problèmes de droit d’auteur découlant de l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur dans les systèmes automatiques d’information et de documentation, Le DA, février 1978, p. 67. « Dans le cas de la méthode des index, la mémorisation et la récupération des données bibliographiques (auteur du texte, titre, éditeur, etc.) ne constituent généralement pas une atteinte au droit d’auteur sur les œuvres auxquelles se rapportent ces données » ; Le DA, n° 7-8 juillet-août 179, p. 196 « Le groupe de travail a été d’avis qu’il n’y avait pas d’atteinte lorsque les indications usuelles de l’auteur, du titre, de l’éditeur, etc (méthode des index) sont mises en mémoire sur ordinateur. » ; F. Gotzen, Le droit d’auteur face à l’ordinateur, Le DA janvier 1977, p. 19 « Restera libre la mémorisation d’index ou de tables qui ne contiennent que des données bibliographiques ou des mots-clés, car il n’y a pas alors reproduction des œuvres mêmes. »
[15] C. Cass 1. civ., 9 novembre 1983, n° de pourvoi 82-10005, puis C. Cass. Ass. Plénière, 30 octobre 1987, n° de pourvoi 86-11918.
[16] CA Paris, 26 janvier 2011, SAIF c/ Google : «une référence purement textuelle ou toute autre représentation conceptuelle serait difficile à utiliser et peu appropriée à l’objectif d’un tel service ; qu’en réalité un aperçu visuel tel que celui mis en place est pertinent comme étant seul de nature à permettre à un internaute normalement compétent, qui entend simplement rechercher une image (à l’aide de ses propres mots clés), d’être immédiatement et facilement en mesure de connaître les résultats de sa recherche de façon précise et d’opérer un choix. »
[17] CJUE, 5 juin 2014, no C-360/13, V.-L. Benabou et F. Gaullier L’arrêt Meltwater de la CJUE, fonte ou refonte des droits d’auteur ?, Légipresse, oct. 2014, p. 539.
[18] V. contra M. Sentfleben, préc. note 1., p. 17 qui propose que le système de « levies » instauré sur les outputs soit réservé aux titulaires qui n’exercent pas l’opt out. To achieve this goal, it could be clarified in the context of AI levy legislation that individual authors and right holders can only benefit from levy payments and related repartitioning schemes and social and cultural funds of collecting societies when they refrain from invoking Article 4(3) CDSMD to reserve their rights.
[19] Partageant cette vision humant-centrée qui s’étend également au droit des brevets, F. Pollaud-Dulian, L’humanisme de la propriété intellectuelle au défi des objets produits par intelligence artificielle, D. 2022.2051.
[20] V. par exemple, le Rapport au CSPLA sur l’intelligence artificielle, A. Bensamoun, J. Farchy, sur ce questionnement. D. Gervais, « Can Machines be Authors », http://copyrightblog.kluweriplaw.com/2019/05/21/can-machines-be-authors , mai 2019 ; « La machine en tant qu’auteur », Propr. intell. 2019, n° 72, p. 7. Sur le principe de l’accession, P.-Y. Gautier, « De la propriété des créations issues de l’intelligence artificielle », Revue pratique de la prospective et de l’innovation, n° 2, octobre 2018, Dossier 12.
[21] I. Randrianirina, Plaidoyer pour un nouveau droit de propriété intellectuelle sur les productions générées par intelligence artificielle, D.2021. 91.
[22] G. Azzaria, « IA et création non appropriable », https://www.lesconferences.ca/videos/mise-en- commun-numerique et «Intelligence artificielle et droit d’auteur: l’hypothèse d’un domaine public par défaut », Les Cahiers de PI, 2018, vol. 30, n° 3, p. 925. I. Randrianirina
[23] V. pour une position similaire, Picht, P.G., Thouvenin, F. AI and IP: Theory to Policy and Back Again – Policy and Research Recommendations at the Intersection of Artificial Intelligence and Intellectual Property.IIC 54, 916–940 (2023). https://doi.org/10.1007/s40319-023-01344-5 “However, once an AI system has been developed, it can produce content such as text, images, music, films, and the like at almost zero marginal cost. While it may be important to grant some form of IP protection for the AI system, there is no need to incentivize the use of these systems by granting copyright protection to their output”, p. 923. Sur le passage en revue des différentes options et avis des parties prenantes, v European Commission, Directorate-General for Communications Networks, Content and Technology, Study on copyright and new technologies – Copyright data management and artificial intelligence, Publications Office of the European Union, 2022, https://data.europa.eu/doi/10.2759/570559, p. 232 et suiv.
[24] Voir les récentes décisions du copyright Office et les lignes directrices publiées en mars 2023 lignes directrices du Copyright Office ( Copyright Registration Guidance: Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence, Federal Register, vol. 88, n° 5188, 16 mars 2023). ; US District court for the District of Columbia, 18 août 2023, Stephen Thaler c/ Shira Perlmutter, n° 22-1564, BAH ; Copyright Review Board, 5 septembre 2023, sur la demande d’enregistrement de l’image Théâtre D’opéra Spatial, générée à l’aide du logiciel Midjourney. N. Enser, IA générative : le début des difficultés, ou quand l’IA et l’humain concourent à la création, D. actu. 13 oct. 2023 ; N. Enser, L’« Entrée dans le Paradis » du droit d’auteur : pas sans un être humain à l’origine de la création ! Dalloz actualité, 18 sept. 2023.
[25] Sur l’état de l’art du domaine public dans le monde, l’incontournable étude de S. Dusollier pour l’OMPI, en 2010 ; https://www.wipo.int/export/sites/www/ip-development/fr/agenda/docs/scoping_study_cr.pdf
[26] L. Maurel. La reconnaissance du “ domaine commun informationnel ” : tirer les enseignements d’un échec législatif. Vers une République des biens communs?, Les Liens qui Libèrent, 2018. hal- 01877448
[27] Malgré les conclusions mesurées du rapport de J. Martin au CSPLA, Martin, Jean. Mission du CSPLA sur le domaine commun informationnel. 12 octobre 2015, disponible en ligne : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Propriete-litteraire-et- artistique/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et- artistique/Travaux/Missions/Mission-du-CSPLA-sur-le-domaine-commun- informationnel
[28] La littérature est très abondante surtout aux Etats-Unis, on citera sans exclusive notamment S. Choisy, Le domaine public en droit d’auteur, IRPI-Litec, 2001, p. 226, n° 464 ; M. Clément-Fontaine, L’œuvre libre, Larcier, 2014 ; M.-A. Chardeaux, Les choses communes, LGDJ, 2004 ; S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété. De la chose-objet aux choses-milieux, Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2010/1 (Volume 64), p. 123. V. aussi, sur la question, notamment S. Dusollier, Du commun de l’intelligence artificielle, in Penser le droit de la pensée, Dalloz, p. 107, 2020 ; Pour un régime positif du domaine public. Benjamin Coriat. Le retour des communs, Editions les Liens qui Libèrent, 2015 ; V.-L. Benabou et S. Dusollier, Draw Me a Public Domain, in Coyright Law, Handbook ed. P. Torremans, Elgar, 2007, chapter 7.
[29] Notamment par l’insertion dans le considérant 3 : la directive contient des règles destinées à faciliter l’utilisation des contenus qui sont dans le domaine public et surtout par le considérant 53 qui accompagne l’article intitulé « Œuvres d’art visuel dans le domaine public » et au terme duquel « Les États membres prévoient que, lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. »
Considérant 53 : (…) « Les États membres prévoient que, lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. »
[30] Favorable à cette position, le rapport du groupe français de l’AIPPI (Association Internationale pour la Protection de la Propriété Intellectuelle, 2019 – Question Study – Copyright in artificially generated works : https://aippi.org/wp- content/uploads/2019/06/2019_FR_2019_Study_Question_Copyright_in_artificially_generated_works_2019-05- 24.pdf. J. Cabay, « Contre la protection du droit d’auteur pour les productions de l’intelligence artificielle », nov. 2018, https://orbi.uliege.be/handle/2268/232795 ; http://hdl.handle.net/2268/232795.
[31] Senftleben, Martin and Buijtelaar, Laurens, Robot Creativity: An Incentive-Based Neighboring Rights Approach (October 1, 2020). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3707741 qui suggère avec cependant des réserves la création d’un droit voisin sous forme de droit à rémunération équitable pour les créations générées par les robots au profit de leurs utilisateurs. V. R. Yu, The Machine Author: What Kind of Copyright Level Protection is Appropriate for Fully Independent Computer-generated Works?, University of Pennsylvania Law Review 165 (2017) 1245 (1245-1246) qui defend l’idée qu’aucune protection par le droit d’auteur pour ce type d’oeuvres n’offe de solution souhaitable. M. Perry & T. Margoni, “From Music Tracks to Google Maps: Who Owns Computer-generated Works”, Computer Law and Security Review 26 (2010)?
[32] Le caractère minime de l’intervention de la machine semble déterminant pour, à l’inverse, conclure à l’existence d’un droit d’auteur dans les positions du Copyright Office.
[33] J. C. Ginsburg et L. A. Budiardjo, Authors and machine, Columbia Public Law Research Paper No. 14- 597 ; Berkeley Technology Law Journal, Vol. 34, No. 2, 2019. https://ssrn.com/abstract=3233885 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3233885. Les auteurs y considèrent que pour être auteur, la personne doit avoir la maîtrise de la conception et de l’exécution de l’output.
[34] La Cour de cassation a jugé qu’« une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur » Cass. 1ere civ., 15 janv. 2015, n° 13-23.566, D. 2015, p. 206 et p. 2215, obs. C. Le Stanc ; RTD com. 2015, p. 307, chron. P. Gaudrat ; Légipresse 2015, p. 223, note N. Binctin ; Comm. comm. électr. 2015, n° 19, obs. C. Caron ; Propr. industr. 2015, n° 3, comm. 25, obs. N. Bouche. Certains auteurs s’interrogent toutefois sur la possibilité d’investir une personne morale de la qualité d’auteur : A. Bensamoun, La personne morale en droit d’auteur : auteur contre-nature ou titulaire naturel ?, D. 2013, p. 376.
[35] P.B. Hugenholtz/J.P. Quintais (2021), Copyright and Artificial Creation: Does EU Copyright Law Protect AI-Assisted Output?, International Review of Intellectual Property and Competition Law 52 (2021), 1190. Les auteurs déterminent la présence du critère de l’effort intellectuel humain dans le droit de l’Union et font le départ entre ce critère et celui de l’originalité. V. également, J. C. Ginsburg, People Not Machines: Authorship and What It Means in the Berne Convention, 49 International Review of Intellectual Property and Competition Law, no. 2, 131 (2018).
[36] CJUE, 1er décembre 2011, Painer, C‐145/10, points 87 à 89 ; CJUE, 12 sept. 2019, aff. C-683/17, Cofemel, cons. 54 : « La circonstance qu’un modèle génère un effet esthétique ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur » ; CJUE, 29 juill. 2019, aff. C‐469/17, Funke, cons. 19 : « Pour qu’une création intellectuelle puisse être considérée comme étant propre à son auteur, celle-ci doit refléter la personnalité de celui-ci, ce qui est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs.
[37] Depuis l’arrêt Feist, Feist Publications v. Rural Telephone Service Company, Inc. 499 U.S. 340 (1991), la Cour suprême a abandonné le critère du sweat of the brow et la jurisprudence a écarté la possibilité pour un singe réalisant un selfie d’en avoir la qualité d’auteur. Naruto et al. v. D. J Slater et al., Northern District of California, case n° 15-cv-04324-WHO, 18 janv. 2016 ; 6 ; U.S. Court of Appeals for the 9th Circuit, 28 avr. 2018.
[38] Cour suprême australienne, Telstra Corporation Limited v Phone Directories Company Pty Ltd [2010], FCAFC 149.
[39] La notion de fixation a été interprétée de manière large et couvre tant les supports tangibles que des fichiers numériques. CA Paris, 4ème ch., 16 juin 2000, Com. com. électr. 2000, comm. 126, note Caron ; JCP E 2001, p. 1382, note Lefranc ; C. Cass. Civ. 1ere 11 septembre 2013, SPEDIDAM, n° 12-17.794.
[40] La jurisprudence n’exige pas que les sons ou images fixées constituent une œuvre pour être couverts par le droit voisin du producteur. CA Paris, 4ème ch., 6 octobre 1979, D. 1981, p. 190, note Plaisant, RTD Com. 1980, p. 346 ; obs. Françon, accueillant la protection du phonogramme pour une fixation de chants d’oiseaux qui ne serait pas éligible au titre du droit d’auteur, même si la décision paraît isolée. Ainsi, non seulement la référence à une œuvre originale n’est pas requise pour déclencher la protection mais encore le phonogramme ou le vidéogramme n’ont pas à atteindre non plus cette condition. La seule exigence que retient la doctrine est celle d’une certaine « continuité » répondant à l’idée de séquence, encore qu’elle ne soit pas très claire.
[41] Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants,
des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (faite à Rome le 26 octobre 1961 Article 1er de la convention de Rome : Sauvegarde du droit d’auteur La protection prévue par la présente Convention laisse intacte et n’affecte en aucune façon la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques. En conséquence, aucune disposition de la présente Convention ne pourra être interprétée comme portant atteinte à cette protection.
[42] Enfin, le critère d’investissement auquel on fait également appel ne fournit pas davantage de prise à une logique de seuil d’entrée dans la protection. La jurisprudence semble exiger que la personne physique ou morale qui en réclame l’attribution apporte la triple preuve qu’elle a pris l’initiative, la responsabilité et le risque financier de la première fixation d’une séquence d’images sonorisée ou non, sans que l’on sache véritablement en quoi consiste la preuve d’un risque financier et comment les tiers pourraient en avoir la connaissance.
[43] Article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle : La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.
[44] Sur cette analogie, v. M. Senftleben, préc. p. 16. “The parallels between the domaine public payant and the proposed AI levy system are striking. Both concepts concern creations that fall outside the scope of the exploitation rights of individual authors: literary and artistic works that never or no longer enjoy copyright protection in the case of the domaine public payant; general ideas, concepts and styles in the case of AI output that does not reproduce individual expression of a human author.”
[45] Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1841, Lettre en faveur de Melle Sedaine.
[46] Pierre-Jules Hetzel, La propriété littéraire et le domaine public payant, républicain qui comme l’auteur des Misérables, Bruxelles, 1858, réimprimé à Paris en 1862.
[47] Victor Hugo, « Actes et Paroles IV, Depuis l’exil 1876-1885 », Société d’Editions littéraires et artistiques, Paris, 1929, p. 411.
[48] L’article L 111-4 du Code de la propriété intellectuelle énonce un principe de réciprocité de la protection des œuvres. Aussi, exclut-il de la protection en France les œuvres publiées pour la première fois dans un pays étranger non cosignataire, avec la France, d’une convention internationale et qui n’assure pas « aux œuvres divulguées pour la première fois en France sous quelque forme que ce soit une protection suffisante et efficace ». Faute de voir leur droit protéger efficacement les œuvres publiées pour la première fois en France, les auteurs issus de ces pays ne peuvent pas bénéficier, en France, de la protection de leurs droits patrimoniaux sur leurs œuvres. Seul leur droit moral sera garanti. Les droits pécuniaires afférents à l’exploitation de telles œuvres doivent alors être versés à des organismes d’intérêt général, désignés par le décret n° 67-181 du 6 mars 1967 Art. R 111-1 et R 111-2 du CPI.
[49] WIPO, Analysis of the replies to the survey of existing provisions for the application of the system of “Domaine Public Payant” in national legislation”, 1982, WIPO/DPP/CE/1/02 ; CPY.82/WS/1 Plusieurs pays dont Algérie, Argentine, Brésil, Bulgarie, Hongrie, Italie, Mexique, Portugal, Tchécoslovaquie, Tunisie, URSS et Zaïre ont connu un tel système. Le rapport précité de S. Dusollier pour OMPI publié en 2010 répertorie les États qui disposent d’un domaine public payant l’Algérie, le Kenya, le Rwanda, du Sénégal, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, et le Paraguay. Deux pays qui maintiennent un tel dispositif ne sont pas envisagés : l’Argentine et l’Uruguay sous ce régime depuis respectivement 1958 et 1937.
[50] E. R. Harvey, Le domaine public payant dans la législation comparée (et plus particulièrement dans la législation argentine), Copyright Bulletin, XXVIII, 4, 1994, p. 31 et s ;
[51] Sur le régime argentin, v. encore M. Marzetti, https://theconversation.com/un-domaine-public-payant-loxymore-propose-par-victor-hugo-197764
[52] L’Italie a, par exemple, abrogé en1996 le système de domaine d’Etat qu’elle avait instauré en 1925. voir sur ce point, L. Chimenti, Lineamenti del nuovo diritto d’autore- Direttive comunitarie e normativa interna, 2. A, Mailand, 1997, s. 198.
[53] Accords de Bangui instituant l’OAPI, révisé à Bamako en 2015, article 68 (précédemment article 59).
[54] C. Mouchet, « Les problèmes du domaine public payant », Le droit d’auteur (BIRPI), 1970, p. 208.
[55] Sur l’ensemble des déclinaisons, initiatives, commentaires, v. le très riche article de J. Cayron, A. Albarian, Financer la création culturelle par l’instauration d’un domaine public payant : le renouveau contemporain d’une notion ancienne, Legicom 2006/2, n° 36, p. 117-131. Au titre de la doctrine abondante citée, on trouve spécifiquement sur le domaine public payant de nombreux travaux du début du XXème siècle ; J. Vilbois, Du domaine public payant en matière de droit d’auteur, Théorie, Pratique et Législation comparée, Sirey, 1920, p. 84, n° 59 ; E. Morel, Le domaine public payant, Mercure de France, 1er août 1927, p. 513 ; P. Robiquet, Une nouvelle forme de la propriété littéraire ; le droit d’auteur et le domaine public payant, L’économiste français, 3 octobre 1903, p. 473 ; M. Ajam, La réorganisation des droits d’auteur, Revue Politique et Parlementaire, 10 octobre 1907, p. 5 ; A. Lamandé, Le domaine public payant, Revue Bleue, 3 décembre 1927, n° 23, p. 721.
[56] A. Dietz, Le droit de la communauté des auteurs : un concept moderne de domaine public, Copyright bulletin, 1990, XXIV, 4, p. 13-24. A. Dietz, “A concept of « Domaine public Payant”, in the field of the Neighbouring Right of Performers”, Intellectual Property and Information Law, Essays in honor of Herman Cohen Jehovan, The Hague, London, Boston, Kluwer Law International, 1998, p. 121 et s. Voir plus récemment, R. Giblin (2017), “Reimaging Copyright’s Duration”, in: R. Giblin/K. Weatherall (eds.), What if We Could Reimagine Copyright, Canberra: ANU Press 2017, 177.
[57] M. Blakeney, The protection of traditional knowledge under intellectual property law, European Intellectual Property Review, 2000, p. 257 : “The moneys thereby received can be diverted to the promotion of cultural activities. This scheme is particularly suited for the nurturing of traditional works” ; J. Githaiga, “Intellectual property law and the protection of indigenous folklore and knowledge”, Murdoch University Electronic Journal of Law, Vol. 5, number 2, 1998, § 53, Therefore indigenous folkloric works that are in the public domain would generate revenues for the indigenous owners” ; voir, dans le même sens, S. Von Lewinski, The Protection of Folklore, in Symposium on Traditional knowledge, Intellectual property, and Indigenous culture, 11 Cardozo J. Int’l & Comp (Cardozo Journal of International and Comparative Law) 767 : “Another way to protect the financial interests of indigenous peoples would be to establish a statutory remuneration right in favour of the community which would itself exercise the power to decide how to income from the exploitation of folklore would be allocated. Such protection could be based upon the model of ‘domaine public payant’” ; S. La Voi, Comment : Cultural heritage tug of war : balancing preservation interests and commercial rights, DePaul Law review, 2003, p. 922.; C. Berryman, Toward more universal protection of intangible cultural property, Journal of Intellectual Property Law, 1994, p. 308 : “Domaine public payant is characterized as a protector of cultural heritage because it can provide the financial means for nations to protect and preserve their cultural creations, particularly folklore”.
[58] S. Dusollier, « L’exploitation des œuvres : une notion centrale en droit d’auteur », in Mélanges A. Lucas, LexisNexis, 2014, p. 263, spéc. p. 267.
[59] Cette option semble être privilégiée par M. Senftleben, art. préc. qui propose de subordonner la répartition à l’engagement des ayants droit de ne pas faire usage de l’opt out et donc de privilégier un système de répartition directe variable.


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